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Colloque sur le mécénat photographique : Daniel Barroy

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Sous l’égide de Daniel Barroy, chef de la Mission photographique au Ministère de la Culture et de la Mission du Mécénat, s’est tenu la semaine dernière un colloque sur le mécénat photographique intitulé « Mécène ou producteur ? Accompagner la photographie « . Présentation.

Ouvrir cette demi-journée de tables rondes consacrée au mécénat dédié à la photographie par cette question a, j’en ai bien conscience, un caractère un peu provoquant.

D’un côté le mécénat se définit bien comme un soutien matériel apporté sans contrepartie directe de la part du bénéficiaire, à une œuvre ou à une personne pour l’exercice d’activité présentant un intérêt général.
De l’autre le producteur, dans le domaine du cinéma ou de la musique par exemple, est bien la personne physique ou morale qui, selon les textes législatifs et réglementaires, prend personnellement l’initiative et la responsabilité financière, technique et artistique de la réalisation de l’œuvre.
D’un côté un acte de philanthropie, même si la loi Aillagon dont nous célébrons le 10ème anniversaire a bien eu pour objet d’organiser au plan fiscal, peu ou prou, un encadrement des éventuelles contreparties sans que, par exemple, s’agissant du mécénat d’entreprise on puisse se voir reprocher de tomber dans l’abus de bien social, et de l’autre un acte industriel et commercial pur, même si son objet a trait à une activité artistique ou culturelle. 

Mon propos visera donc rapidement à évoquer surtout les problèmes de financement qui sont aujourd’hui ceux de la photographie dans son ensemble. De la photographie moyen d’expression, de communication, média d’information, support de notre mémoire individuelle et collective, outil de création artistique, etc … En effet la photographie comme l’écrit recouvre des approches diverses. Elle est sans doute le vrai langage universel qui transcende les barrières culturelles, linguistiques et sociales. Elle connait un engouement considérable que consacrent le succès des manifestations et des lieux qui lui sont consacrés, les prix atteints, lors des ventes publiques par exemple,  les flux d’images qui s’échangent à chaque instant sur internet  (plus de 2200 par seconde sur le seul facebook) et pourtant on entend partout parler de « crise ». Plutôt que de crise d’aucuns évoquent la « révolution » que l’écrit a subi à la fin du XVème siècle avec l’apparition de l’imprimerie. Et de fait le basculement de la photographie dans l’univers du numérique a une portée qui va bien au delà des multiples « révolutions techniques  » qui ont marqué son histoire et soulève deux questions majeures :

•celle posée par la multiplicité des approches, des usages et des écritures qui la caractérise en imposant de fait une inversion de la relation entre le monde numérique et les objets réels.
•celle de son  financement, dans un univers Internet qui organise une fuite massive de valeur au détriment des créateurs et plus largement des apporteurs de contenus.

Et donc, force est bien de constater aujourd’hui, comme le faisait d’ailleurs Pierre Lescure dans son rapport, que la photographie apparait comme le secteur de la création le plus violemment déstabilisé et que les professionnel du secteur se trouvent aujourd’hui dans une situation de plus en plus difficile : on peut certes être à peu près certain de l’avenir de la photographie, mais on ne peut aussi que s’interroger sur les modèles économiques dans lesquels elle pourra s’inscrire, les cadres juridiques qui permettront aux professionnels de tirer subsistance de leur travail et de leurs talents, sur des « marchés » sans doute diversifiés, mais surtout solvables.

Or les besoins de financement sont de natures multiples et très diverses. J’en citerai ici trois, en laissant d’ailleurs volontairement de côté par exemple les problématiques relatives à la formation, tant professionnelle, que s’agissant de l’éducation artistique et culturelle ; se sont certes des sujets majeurs, mais qui concernent aussi l’ensemble des disciplines créatives et des métiers des arts et de la culture    :

1.Dans les domaines de l’information et du documentaire, les reportages coûtent chers, ils demandent du temps, les risques peuvent être importants comme nous le rappelle hélas trop souvent l’actualité. Ils demandent aussi un savoir faire complexe, un recul journalistique, voire un savoir scientifique, une sensibilité aussi que seuls des professionnels peuvent maîtriser dès lors que l’on ne se contente pas de simples illustrations souvent vides de sens. Dans le même temps, la presse subit elle aussi une mutation importante d’autant plus gourmande en capitaux, que sa conquête de  nouveaux modes de diffusion doit encore s’organiser et n’a pas encore trouvé les modèles économiques lui permettant à la fois la rémunération de ses investissements et celle des contenus de qualité que ses lecteurs sont en droit d’attendre. Pourtant, tout le monde s’accorde bien sur l’importance qui s’attache à une production de sujets divers, à la diversité des écritures, des approches  et des regards qui doivent perdurer, sur les enjeux que cela constitue en terme de qualité de l’information, mais plus largement de diversité culturelle.

2.Dans les domaines des arts plastiques aussi il est évident que la photographie a bien trouvé sa place comme outil d’expression et de création  à part entière dont se sont saisis de très nombreux artistes, soit par la production d’images fortes soit en les intégrant dans des œuvres complexes convoquant  plusieurs domaines d’expression. Mais toutefois avec une économie spécifique, dans laquelle les photographes ont de grandes difficultés à produire, malgré  un marché de l’art contemporain très favorable. Un photographe, en effet, a besoin outre  sa subsistance et celle de sa famille,  de moyens pour acquérir du matériel, pour se déplacer, financer ses besoins techniques… En revanche, une fois l’œuvre produite, elle est beaucoup plus accessible pour les acquéreurs, elle se vend le plus souvent en plusieurs exemplaires, voire peut être utilisée dans des approches, des supports ou des œuvres très divers, ce qui génère plus simplement des recettes plus importantes si nous la comparons à une peinture. Une photographie est plus difficile à produire mais plus facile à vendre qu’une autre œuvre plastique.

3.Dans les domaines des archives et de la mémoire, enfin car depuis sa création au XIX ème siècle, ont été produites des millions d’images de toute nature : fonds de presse, fonds d’artistes, même si leurs auteurs ne se vivaient pas toujours comme tels, mais dont le travail est aujourd’hui pleinement reconnu par sa valeur formelle et  esthétique, fonds documentaires ou  de scientifiques qui ont ainsi fixé leur regard sur le monde ou sur leurs recherches, fonds vernaculaires aussi qui portent témoignages de la vie et de la sensibilité de nos grands-parents. Ces fonds sont sur des supports physiques divers, parfois fragiles, mais souvent mal connus, peu documentés, ils restent aujourd’hui inaccessibles et sont parfois menacés de destruction. Bien sûr le temps fait son œuvre et opère des tris, tout ce que le passé nous lègue n’est pas d’intérêt identique, mais peut on laisser  faire le seul hasard? Ce patrimoine constitue bien notre mémoire collective et suppose donc bien de pas être laissé à la chance des archéologues du futur. Et ce sans oublier les problèmes que vont très vite susciter la conservation des fonds numériques ab initio.

Donc la production des œuvres, mais aussi leur diffusion par les expositions, l’édition sur tous les supports, supports papiers traditionnels comme les nouveaux supports, les achats d’œuvres et donc la production de tirages, le travail documentaire, la conservation physique des fonds et des collections, autant d’opérations nécessaires à la photographie et qui doivent trouver des financements. 

C’est dire combien la photographie a un ardent besoin de ses mécènes, et je voudrais ici saluer tout particulièrement les mécènes présents, et au travers eux tous ceux qui par l’importance et la constance de  leur engagement font qu’elle reste un mode d’expression vivace et diversifié.  Et je sais aussi que dans la diversité de vos actions, c’est l’ensemble de ces sujets qui trouvent ainsi des ressources irremplaçables, à Paris, auprès des institutions nationales les plus actives (la Bnf, le CNAP, le Jeu de Paume, le Centre Pompidou par exemple), comme en région auprès des FRAC, mais aussi des lieux plus spécifiquement consacrés à la photographie (l’extraordinaire Musée de Chalon, mais aussi les structures plus modestes et qui font un travail remarquable d’appui aux auteurs et de sensibilisation des publics à Cherbourg, Douchy, Lectoure, Niort, Strasbourg, Sète ou en Bretagne  et de ses manifestations les plus grandes comme à Arles ou à Perpignan, comme les plus émergentes comme à Vendôme, à Saint Brieuc, sans oublier La Gacilly). Car aux côtés des pouvoirs publics, mais aussi des acteurs économiques, il importe que les professionnels puissent trouver les aides, les conseils et les encouragements nécessaires.

Vous pouvez être assurés que les pouvoirs publics et le Ministère de la Culture en premier lieu est conscient de votre rôle. Car justement nous sommes bien à une époque charnière. Jusqu’à il y a peu la photographie, longtemps mode d’expression «d’amateurs » plus ou moins fortunés,  était bien caractérisée par des modes de production, certes progressivement professionnalisés, mais restés artisanaux, fortement personnalisés. Il est probable que cet âge soit derrière nous. Avec l’irruption du numérique et de l’Internet mondialisé, un monde nouveau s’ouvre qui supposera des approches beaucoup plus complexes et diversifiées. Dans les écritures rendues possibles, dans l’exploitation des images produites, et leur diffusion, c’est une nouvelle économie qui s’installe pour laquelle  nous cherchons tous, avec les professionnels  ce qu’en seront les règles et les modèles économiques. 

S’agissant des pouvoirs publics, nous avons bien conscience des limites de notre action, et combien les seuls achats d’œuvres, les processus de commande ou les bourses de recherche pour signifiants qu’ils soient ne sauraient satisfaire à l’ampleur des besoins. Par conséquent il s’agit bien d’assurer pour la photographie un pluralité des regards, des approches, des  processus de validation que nous savons relatifs voire fragiles, une diversité des sources de financement, qui lui permette  d’entrer dans cette nouvelle économie, et de générer  les revenus qui lui permettront de se développer dans les domaines de la création et de l’information. Nous savons aussi que le travail des photographes permet dans la durée, la constitution d’une richesse, dont les potentiels sont encore aujourd’hui trop mal exploités, et que nous avons tous intérêt et envie à voir mieux valorisés.  Car par delà les objets produits, la photographie, l’image aujourd’hui si facile à reproduire, est aussi porteuses de droits spécifiques, et donc source de revenus potentiels. Vous voyez qu’ainsi ce qui est attendu de nous, pouvoirs publics, comme de vous, mécènes, va bien au delà  de simples apports financiers, pour s’inscrire dans une véritable approche économique accompagnant la vie des images produites. 

Je tiens à remercier les participants aux trois tables rondes de cette matinée, à leurs animateurs. Je ne doute pas que la présentation de leurs expériences, leurs échanges feront naître dans l’esprit de chacun des pistes nouvelles, porteuses de solutions. L’expérience acquise aussi par les mécènes dans l’exercice de leurs activités sera  une source de conseils, dont nous avons tous besoin aujourd’hui. 

Daniel Barroy

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